J’ai décidé de vous faire partager mon ressenti et mes questionnements face à certains jeunes que je reçois. Les enfants et les adolescents que je suis amenée à rencontrer sont différents. Différents dans leur manière de penser, différents dans leur façon de fonctionner, d’appréhender les autres, l’école, les apprentissages : des enfants atypiques et en même temps, je ne peux m’empêcher de l’écrire, tellement attachants !
Quand je pense à eux, je pense, en premier, à quelques enfants que j’aime à appeler extraordinaire.
Extra-ordinaire !
Je vais donc partager avec vous leurs histoires, leurs doutes, et les besoins. Pourquoi ? pour nous rappeler que ce sont aussi ces enfants atypiques qui nous font grandir et qui nous font devenir plus fort !
Voici donc le premier d’une série d’articles que je souhaite consacrer à ces jeunes qui dégagent cette force étonnante et dotés d’une volonté incroyable. Ils sont surprenants. Ils nous apprennent déjà si jeunes une autre manière de voir la vie. Même si quelquefois, ils se fatiguent et ont l’impression de se perdre, ils utilisent ce temps pour se ressourcer, avancer sur d’autres choses pour mieux rebondir par la suite : des donneurs de leçon !
Lola : quand la vie reprend ses droits
En tout premier, une petite Lola[1] de 12 ans que je suis amenée à rencontrer lors d’un des stages que j’anime pendant les vacances. Lola est en 6ème, elle est entre la fillette et la jeune fille comme beaucoup à cet âge. Elle est très coquette et cela se remarque immédiatement, on voit à son comportement que sa tenue a été choisie avec soin, que ses cheveux ne sont pas attachés par hasard.
Je la découvre d’abord en stage, sur le bulletin d’inscription il est noté qu’elle a une dyspraxie et entre parenthèses le mot suspicion. Il m’est indiqué lors d’un entretien téléphonique avec sa maman que Lola est passée cette année sous clavier, autrement dit qu’elle écrit grâce à un ordinateur. Ses professeurs ne l’acceptent pas toujours. Elle m’est décrite comme très volontaire et travailleuse. Les résultats sont bons mais Lola manque de confiance en elle.
C’est un lundi que je fais la rencontre de Lola. Les stages que j’anime sont surtout basés sur des jeux, des textes pour amener mes petits stagiaires à réfléchir sur eux-mêmes, à apprendre à se connaitre, à faire confiance à leur tête… et à s’apprécier comme ils sont avec toutes leurs superbes qualités, qualités trop souvent mises de coté dans un système scolaire normatif qui ne leur colle vraiment pas à la peau.
Pendant le stage, Lola se montre appliquée. Elle réfléchit vite et elle a besoin de faire référence à cette norme scolaire pour mieux comprendre comment elle devrait s’y coller. Elle est déstabilisée au départ que je n’aborde pas les choses « comme les profs », elle perd ses points de repère et doute de ses acquis et surtout d’elle. Pourtant tout est là dans sa tête… et bien là, juste bloqué par un terrible manque de confiance en elle, un manque contre lequel elle se bat, se débat pour ne pas le laisser paraître et qui la fragilise pourtant.
Durant le stage, je suis amenée à rencontrer sa maman : une de ses mères qui s’est battue, battue tellement fort. Lola est née prématurément et le diagnostic pendant ses deux premières années a été plutôt sombre. Il était prévu que Lola ne marcherait pas, ne parlerait peut être pas… Le résultat d’un scanner qui ne prouvait rien associé à la vision que sa maman avait d’elle : Lola s’engage dans la bataille. Avec le soutien de ses parents et grâce à des rééducations, Lola s’est battue, Lola marche, Lola parle, Lola suit même une scolarité tout à fait normale, fait du piano, et a des copains.Comment ne pas être admirative devant cette enfant qui n’a fait que se battre pour en arriver là où elle en est actuellement ?
Lola fait partie de ces enfants que j’aime à appeler des enfants « extra-ordinaires », des enfants qui sortent de l’ordinaire, qui ont en eux et avec eux une énergie, comme une énergie du désespoir ou au contraire gorgée d’espoir qui les pousse à avancer, à continuer, toujours plus loin, encore et encore : des donneurs de leçon.
Et pourtant Lola n’a pas confiance en elle. Lola se met la barre toujours plus haut, toujours plus loin. En même temps, on ne peut que penser que c’est aussi en se voyant toujours plus loin qu’elle est la jeune fille que j’ai en face de moi.
Lola est assez timide. Il faudra qu’elle fasse connaissance avec le groupe et avec moi pour arriver à parler de ses difficultés, de ses espoirs, de ses envies, et enfin de ses manques. Entendre les autres accepter, entendre les autres se questionner, s’interroger comme elle sur les autres, les devoirs, la vie à la maison, les parents, les études, les envies… lui permet de mieux accepter sa différence ou ses différences. Lola a des blessures. Peut-on ressortir indemne d’un tel parcours ? Elle essaye tant bien que mal de camoufler ses blessures ; pour protéger ses parents, sa petite sœur qu’elle adore et aussi pour se protéger elle-même d’autres blessures. Refuser, sa différence, c’est refuser de souffrir. Refuser sa différence, c’est pour Lola refuser de se dire qu’elle n’avancera plus. Lola a encore un chemin à faire : celui d’accepter sa différence pour mieux s’aider. Qu’il est difficile d’admettre pour elle qu’elle ne fait pas les choses comme les autres, elle qui se bat depuis sa naissance pour faire ce que les autres font ! Comment lui faire admettre qu’accepter sa différence ce n’est pas la fin d’un combat mais plutôt le début d’un autre chemin sur lequel on peut s’aimer tel que l’on est ?
Lola chemine…
Accepter sa différence, c’est aussi cultiver sa propre personnalité.
[1] Tous les prénoms et lieux ont été changés.